Le banquet se tient juste après l'annonce du verdict de Plinius l'ancien dans son procès, le soir. Plinius, le visage radieux, accueille chacun de ses convives dès l'atrium. Il se montre plus ou moins chaleureux avec chacun d'eux mais toujours courtois et affable.
Myra, son épouse est présente, l'air grave, les traits tirés. Chacun des enfants Plinius est là également, de Lucius, l'aîné à Octavus, le petit dernier de la gens, 8 ans.
Plinius est tout de blanc vêtu. Son visage est très serein. Il invite chacun des participants à s'avancer vers le triclinium où les lits sont dressés.
L'ordonnance déroge quelque peu au protocole. Ainsi, Plinius s'est-il entouré de ses amis les plus proches, Fugitivus, Antonicus Cornelius. A ce lit également sont installés Flavius Tubbsarius, Maximus Fabius, Helveticus Ptolemeo, Et Lucius Plinius, que Plinius l'Ancien a fait mettre aux côtés du navarque.
Ses compagnons de naufrage ne sont pas loins et, comme intimes, sont installés autour du lit du reste des Plinii.
Fait rare, un autre lit a été dressé pour les esclaves et l'affranchi Servilius.
Lorsque tout le monde est présent dans le triclinium, Plinius fait avancer ses esclaves. A chacun d'eux, un à un, homme et femme, il prononce la formule rituelle "liber esto" après lui avoir apposé sur l'épaule un bâton de bois. Ils sont tous affranchis.
"Vous êtes désormais des hommes et des femmes libres. Aujourd'hui, en tant que tels, je souhaite que vous preniez par à mon repas. Je suis hélas trop vieux et trop inexpérimenté pour faire le service, aussi, comme un ami, et non plus comme un maître, je vous demanderai de nous servir à table"
Plinius fait installer ensuite chacun à sa place et fait signe pour que le service commence.
En clin d'oeil à ce qui a constitué la grand passion de sa vie, Plinius a commandé un repas autour du thème de la mer.
C'est ainsi qu'en premier lieu sont servis des huîtres et tout un assortiment de coquillages, cuits en sauce et épices. Des oursins suivent puis un premier plat à base de seiches et de poulpe.
C'est à l'issue de ce premier plat, après qu'un délicieux vin venu des vignes familiales a été servi que Plinius prend à nouveau solennellement la parole.
"Mes amis et vous, Pontife, Consul, Navarque,
Ce soir est un grand soir, un moment où la Justice triomphe. C'est pourquoi j'ai voulu vous convier à ce banquet festif.
Il est cependant un moment, pour un homme, de faire le point sur son existence et, pour peu qu'il l'ait toujours fait, de décider seul du cours qu'il doit lui donner.
Junon m'a gratifié d'une belle descendance, qu'elle en soit à jamais remercié. Toi, ma femme, vous mes enfants, Lucius, Plinia, Caius, Pliniola, Tertius, Quintus, Sextius, Manlius mon si vallant petit soldat, toi ma petite luciole et toi mon bel Octavius, vous avez été dans ma longue vie mon âme et mon corps, la force qui m'a toujours permis de vaincre l'adversité, l'amour qui a toujours effacé sous un baume si doux les plaies de l'existence.
Ma vie publique a été dense, marquée par la lutte contre les ennemis extérieurs de Rome, mais également contre ceux qui à Rome, ont voulu saper les fondements de notre République. Dans cette existence là, j'ai donné des coups, en ai reçu beaucoup, mais, grâce aux Dieux, je m'en suis toujours relevé. Grâce aux Dieux, et à mes amis.
Dans ce long chemin de la vie, il est bon de trouver des compagnons de route, des âmes soeurs sur lesquelles compter, dans lesquelles on puise la force de continuer. Cela, je l'ai trouvé avec toi, Felix, mon frère, avec ton père, avec Actarus, qui sut si bien remplacer après ses tragiques égarements, auprès du tien Lucius Flaminius, le plus grand Romain, assurément, depuis Romulus lui-même, à moins qu'on ne puisse également te réserver ce titre Cornelius, ami fidèle. Je n'oublies pas, Pompeius Caius, qui dans l'adversité m'a rejoint et m'a montré qu'existait encore à Rome, de jeunes sénateurs dignes de la perpétuer.
Vous tous, je vous ai voulu présent avec moi, ce soir, parce que bientôt, je ne pourrais plus dire combien vous comptez pour moi. Les épreuves que j'ai traversées m'ont affaibli, mon coeur, désormais malade, m'a indiqué à plusieurs reprises qu'il allait être bientôt temps pour moi de rejoindre les mânes de mes ancêtres.
Plinius fait alors un signe. Un homme s'approche, un rasoir à la main. C'est un chirurgien. Plinius l'ancien tend son bras et d'un geste net et précis, le chirurgien fait son office et entaille profondément les veines du vieux navarque. Celui-ci, alors, le sourire aux lèvres, couvre son bras, d'où s'échappe désormais la vie, et reprend le cours de son discours.
Voilà, mes amis, voici mon choix, assumé, mon choix d'homme libre. Abandonné de Mars, désormais, à qui je me suis voué corps et âmes, j'ai réussi, dernier et ultime service rendu à l'Urbs, à ce que Rome ne soit pas souillée du sang d'un innocent. Cependant, en dépit du verdict d'aujourd'hui, Plinius l'Ancien a vécu. Je suis désormais inutile à Rome, puisque les Dieux ont décidés qu'il était temps pour moi de cesser d'être à leur service. Vieux débris de bois, puis-je continuer longtemps à flotter sur la mer au risque d'entraver la course de nouveaux navires fougueux et plein d'allant ?
Et puis, ma mort, choisie et assumée, est une réponse à ceux de mes ennemis qui se réjouissent de ma déchéance et qui osaient, en outre, m'accuser de lâcheté. Puissent les dieux leur pardonner. Je pense qu'il est beau pour un Romain de mourir sinon en pleine gloire, du moins en pleine jouissance de sa citoyenneté.
Lucius, mon fils,je te confie le devoir de défendre la République et d'obtenir le châtiment de ceux qui se sont dressés contre elle. ton combat sera aussi celui de la mémoire, outragée par les écrits de ce félon de Marius.
Plinius ressent les premiers vertiges.
Consul, Pontife, Navarque, le temps presse maintenant. Orcus m'appelle et j'entends déjà sa voix.
Je vous ai fait venir pour vous rendre ce que Rome m'a confié:
Au clergé de Mars, Pontife, je confie les dix domus des Armes de Mars bâties par mes soins ainsi que les 4500 ares de terre que je possède en Ombrie
A Rome, consul, je fait don de mes deux autels, à Neptune et à Céres.
Navarque, je te confie la villa pauper navae Plinia, construite au profit des marins de Rome. Puisses-tu en faire bon usage. J'aurai à ton égard une ultime requête: reconcilie toi avec mon fils Lucius, qui n'a jamais cherché à te nuire, et, à défaut d'en faire ton adjoint, fais-t-en un ami.
Felix, toi, mon double, en plus raisonnable, en plus sage et moins passionné, je ne sais comment te remercier pour ton amitié si sincère. Veille sur Manlius, Luciola et Octavius, sois pour eux un père. Assiste aussi Myra, que mon coeur saigne à laisser seule mais que j'espère revoir bientôt au jardin des bienheureux. Felix, je te confie mes jardin de Thétys pour que, t'y promenant dans tes vieux jours, tu penses encore un peu à moi.
Vous, mes compagnons d'infortune, je vais rejoindre nos frères que Neptune a trop tôt mené en son royaume...
Plinius commence à montrer des signes plus nets de faiblesse.
Mes enfants, je sens mes forces m'abandonner, venez une dernière fois m'embrasser, que je parte dans l'autre monde avec le souvenir de votre chaleur sur mes joues. Lucius et Caius, veiller sur vos frères, faites-en de bons romains, dignes de leur père, digne de Rome...
Myra...
Entouré des siens, Plinius commence ainsi son dernier sommeil
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Flamine de Mars 344-345-346
Carmanovius à la Roche !
Alias Dreyfus |