Par un frais matin d'hiver un sénateur bien protégé du froid par une imposante couche de graisse se présente sur les rostres accompagné d'une poignée de clients fidèles. C'est le tribun désigné Darus qui vient discourir. Il attend quelques minutes que la nouvelle se répande et que les citoyens présents sur le forum s'assemblent pour l'écouter avant de commencer.
Romains ! Citoyens !
Je monte sur les rostres aujourd'hui pour vous présenter ma candidature à un troisième tribunat. Oui, je dis bien troisième car je ne me considère pas comme le tribun de 365, n'ayant jamais reçu l'assentiment du peuple.
Comme je l'avais dit au Sénat et devant vous, je ne suis aujourd'hui que votre représentant, un tribun sans pouvoir, n'ayant que sa voix pour vous défendre, un interlocuteur privilégié du Sénat puisqu'aucun tribun n'avait pu être élu.
Mon dernier acte en tant que tribun "désigné" par le censeur sera de consulter les comices au sujet de ma nomination et de celle de mon collègue Julius Priscus. Si vous approuvez notre initiative et nos actions, nous serons comblés d'avoir pris les bonnes décisions. Si vous nous rejetez je m'empresserais de quitter les élections et laisserais soin à mes successeurs de nous juger ou non pour atteinte aux intérêts de la plèbe.
Mais assez parlé du passé, si vous êtes ici c'est pour entendre parler de l'avenir, de mon programme pour l'année qui s'annonce. Et mon programme, citoyens, il s'articule sur trois points que je vais vous détailler.
Mon premier chantier reprendra le travail accompli l'année passée lors de ma tournée italienne. Parti dans nos provinces pour y recueillir les difficultés et les demandes de ceux qui, trop loin de Rome, ne peuvent se faire entendre, je n'ai pas été déçu. J'y ai été sollicité sur de nombreux sujets, aussi variés que capitaux : le commerce, la volonté d'indépendance de certains de nos alliés, le manque de vigiles, les relations avec nos voisins...
Tous doivent être abordés, les problèmes doivent être résolus, les demandes étudiées... C'est le rôle du Sénat bien entendu, mais pour que le peuple de nos provinces ne soit pas oublié il faut un tribun dans la salle, et quel meilleur tribun que celui qui a lui-même rencontré ces Romains ? Celui qui les a écouté et qui les comprend peut-être mieux que n'importe quel autre ici, sous les marbres de la capitale ?
Ma deuxième priorité rejoint la première, en cela qu'il s'agit de projets et de gestion. Ces projets sont nombreux à l'heure actuelle, sans même tenir compte de ce que je rapporte de mon voyage on parle d'extension des murailles de Rome, de celle de notre flotte, d'une légion permanente et du doublement du nombre de nos vigiles. Combien de millions au juste le Sénat compte-t-il dépenser dans ces affaires je n'en suis plus très sûr moi-même, je n'ai qu'une seule certitude, nous ne pouvons pas tout mener de front.
Nous sortons d'une époque de guerres et de désordres : Tarente, l'affaire des généraux, l'intégration du sud, les Anares, l'Etrurie, les Samnites et les Luceriotes sont autant d'embûches dont nous avons triomphées. Aujourd'hui la République est presque aussi étendue qu'elle l'a été à son apogée, les butins, les terres reprises par la République, les victoires militaires, tout nous laisse promettre une ère de prospérité.
Mais cette prospérité qui est là, à portée de main, nous devons veiller à ne pas la gaspiller, à ne pas l'épuiser par trop de projets, trop de dépenses mal planifiées, arrivant toutes en même temps.
Le Sénat doit s'imposer des limites pour le bien de la République. Il ne doit pas réclamer des années là où il faudrait envisager des lustres ou des décennies. Il doit se fixer des priorités, planifier ses dépenses. Comme l'a si justement dit le sénateur Laudanum dont je ne fais que reprendre l'idée il nous faut maîtriser nos dépenses sous peine de vider nos caisses inconsidérément et de nous retrouver à la merci du moindre coup dur. Voulons-nous de nouveau avoir à rembourser le trésor de Jupiter pendant dix ans ? Certainement pas !
Certes des dépenses sont nécessaires, je suis le premier partisan de certaines d'entre elles, mais avec mesure uniquement.
Enfin, mon dernier axe n'a pas changé. Vous connaissez tous à présent les Vrais Romains et ce contre quoi nous entendons lutter ? Cette lutte est toujours d'actualité. Une certaine personnalité politique que je ne nommerais pas m'a plusieurs fois attaqué, en public, me traitant de lâche, de goinfre, allant jusqu'à faire jouer une pièce de théâtre me dépeignant de façon abjecte et le présentant comme un héros sauveur de la République.
Je ne vous ferais pas l'insulte de vous faire croire que je suis blanc comme neige, j'admets tout à fait avoir un certain tempérament et que l'ambiance échauffée des débats puisse pousser au dérapage. Mais je n'accepte pas les calomnies répandues de cette façon, planifiée, publique.
Ceci n'est qu'un exemple, ceci n'est que la façade, ceci n'est que l'expression de la politique actuelle. Il est passé le temps des grands hommes d'antan, des Stilo, des Antonius, des Valerius. Et cette politique pourrie n'est que le reflet d'une part de notre société qui s'écarte du droit chemin de nos traditions et de la dignité romaine.
J'entends toujours ramener la morale et les mœurs de nos aïeux au Sénat, à Rome et dans le cœur de tout bon Romain. Que notre énergie ne soit plus perdue en querelles stériles et en manigances intéressées mais pour le bien de Rome. Que la mesquinerie et la fourberie laissent à nouveau la place à la dignité et à l'honorabilité qui n'auraient jamais du déserter nos politiciens.
Voilà ce que je m'engage à faire cette année si vous me soutenez. Je n'ai pas ces grands mots qu'on lance d'une voie forte depuis les rostres en espérant qu'eux seuls seront retenus, je n'ai pas de discours grandiloquents. Certains essaieront de noyer leurs intentions dans de grandes allocutions exaltantes, dont on ressort ému sans grande idée de ce qui a été dit et proposé, pas moi. Je n'ai que mes idées et mes intentions à vous exposer, rien de plus rien de moins, car on n'est tribun que pour achever quelque chose, et non pour discourir sans fin.
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Brutus Darus, dit le grassouillet.
Fils-à-papa 323-357
Sénateur depuis 358
Tribun 359-361-362-365
Flamine de Mars de 359 à 362
Tavernier 362-363 |
Posté le : Dim 31 Jan 2010
